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SHAKESPEARE_TO_PEER

L’été 2008 a été celui de tous les paris : dix représentations au festival d’Avignon, coordonner le festival d’Eymoutiers et monter Shakespeare. Chaque année je me dis que j’en fais trop et chaque année j’en fais davantage. Le choix de Shakespeare n’est pas mien, je n’aurais pas encore osé. Je veux dire pas cette année, je gardais ce projet pour un futur hypothétique. C’est l’équipe 7AC qui a choisi Hamlet. Leur choix m’est apparu comme une évidence. J’ai lu quelques traductions sans être séduit. Trop de littérature, trop de phrases policées, pas assez de nerf, comme dit Céline ! Le texte avait été déchargé. Excité par le choix de notre compagnie, je me suis lancé dans une traduction "maison". Ce rendez-vous avec William était dans ma tête depuis longtemps. En 2002, on projetait de monter Henry V à Fougeolles mais Franckie du Montand nous quittait cet été-là… Fougeolles retournait au désert et nous avons humblement délaissé ses murs et Henry V avec ses chevaliers. Mais ses chevaux tournent toujours quelque part… Six ans plus tard, voilà que William ressurgissait dans ma vie. Ce n’est pas peu de mettre en scène Shakespeare, quant à le traduire, c’est un vrai challenge ! Mais nous aimons les challenges, l’urgence et les surprises !

La découverte du théâtre élisabéthain se produit pour moi en 1995 avec la pièce de John Ford, « Dommage qu’elle soit une putain » (Cie parisienne des Petits Carreaux). Traduction maison également. Les trois traducteurs avaient privilégié la force et l'érotisme du verbe et donné ainsi vie aux corps. L’acteur intellectuel ou fainéant, l’acteur à ficelles, y perdait pied. Cette pièce a été jouée contre vents et marées pendant trois ans et demi. Créée au festival d’Avignon, elle fut ensuite présentée à l’Échangeur de Bagnolet, au festival Perspectives de Sarrebruck, au Globe Shakespeare Festival de Neuss en Allemagne, au Château du Mazeau à Rempnat chez Franckie et sur la place des Coopérateurs à Eymoutiers. Jouer à nouveau une pièce du répertoire élisabéthain sur cette place des Coopérateurs annonçait pour moi un anniversaire. Dix ans avaient passé que j’avais employés à créer ce modeste festival "Souffleurs de Terre" et à sensibiliser des dizaines de jeunes gens à la littérature et au théâtre. C’était ma façon d’honorer cette région qui m’avait ouvert ses charmes et ses portes. Tout ça collait dans ma vie. En 1997 je suis engagé à Cherbourg par la Cie « L’Élan Bleu » pour jouer dans « Beaucoup de bruit pour rien » et je découvre une nouvelle facette de ce prodigieux théâtre. Je suis sollicité l’année suivante par Frédérique Lazarini sur « La Tempête » dans laquelle je joue Caliban et où je m’éclate ! C’est décidé : pour moi l’œuvre d’Artaud dont j’ai approché les affres pendant plusieurs années est proche de celle de William, de Caldéron aussi. Les stages de danse butô avec Carlotta Ikeda, les rencontres à Bergame avec l’Odin Teatret d’Holstebro et Eugenio Barba, les créations avec le collectif Wild Shores depuis 1999 : tout colle ! Je ne ferai plus de « théâtre traditionnel ». En avais-je jamais fait ? De 1989 à 1993, les créations théâtrales sur l’île de Vassivière ou au château de Nieul avec Andrée Eyrolle avaient amorcé puis scellé cette trace. C’est Andrée qui m’avait, je peux le dire, ouvert la porte à tout ça. Nietzsche et les Elisabethains, je les avais découverts seul.

Mais revenons en 2008 : quand on ne va pas aux choses, ce sont elles qui viennent à nous. Qu’est-ce qui a pu pousser ma jeune compagnie à vouloir jouer « Hamlet » ? Leur avais-je parlé de mon fantasme d’écolier sur les bancs de l’école primaire ? Oui, je voulais être Reine d’Angleterre et au seul énoncé du nom de Shakespeare, j’éprouvais du désir, de l’érotisme. Claude Régy que j’ai lu récemment écrit que la sexualité chez l’enfant est permanente : William est venu très tôt allumer la surface de mon corps et en restaurer l’intérieur. C’est ça pour moi la sensualité : toute la surface du corps d’une brûlante et courageuse machine et non un duel rapide de bouts de bois sans envergure. cette idée de « machine » avait été perçue et sublimée par Heiner Müller. J’en avais vu une version intéressante à Théâtre-à-Châtillon mise en scène par Serge Noyelle.

L’érotisme est évident dans la littérature de cette époque en Europe. C’est le long aboutissement de la Grâce moyenâgeuse, arrivée à terme et à son extrémité. Le sexe élisabéthain vient manger dans la main les doigts de la mort et les vivants « semblent » aliénés par un éphémère calendrier de tâches superficielles. Toute liaison est électrique, érotique et charnelle. Le devoir, le destin, la loi, la religion deviennent poussière. Seul existe et résiste le Désir. Le fameux « will ». J’ai cherché la racine de ce désir, il est intime avec l’Amour et la mission vitale de se laisser traverser par l’être. Au cours des siècles suivants, selon un processus de déglutition ordinaire, la littérature deviendra morose, vicieuse, romantiquement malade, délirante, provocatrice et intellectuelle jusqu’à la métaphysique stérile et l’imitation de la folie, voire l’illumination qui aurait voulu retourner à ses débuts. Rares furent par la suite et jusqu’à nos jours les auteurs porteurs. Il s’en sauve cependant quelques uns. C’est dans l’esprit informateur du corps que nous avons abordé entièrement « Hamlet ». J’étais avec eux et nous n’avancions vers rien. Nous devions traverser et devenir. LES RÉPÉTITIONS

Je ne décide jamais d’un calendrier de répétitions. Comme il est difficile d’avoir tout le monde en même temps, je suis d’une disponibilité totale. Certains travaillent à Limoges, font des animations à Chateauneuf ou ailleurs, d’autres servent dans des bars ou des restaurants, d’autres encore font des petits boulots à droite ou à gauche, qui fait le marché tôt le matin, qui scie du bois. Cependant nous constituons un noyau dur et notre point de chute, c’est Legaud. Chacun y a sa liberté intérieure, ses prisons intérieures, empiète sur la liberté des autres, tolère ou rejette mais on fout tout ensemble. C’est un microcosme, Legaud ! Au début de la dernière période de travail, j’avais averti d’une certaine sauvagerie de ma part : je souhaitais qu’on ne s’éparpille pas, qu’on laisse de côté la vie privée pour trois semaines, qu’on évite la fréquentation de personnes étrangères à la compagnie. Pas facile quand on connaît les Don Juan qui nous accompagnent ! Mais ils ont tenu bon. J’ai accordé la permission d’un soir pendant les répétitions. Guitare, plage et saucisses grillées ! Décompresse ! Je parle de dernière période de travail car, engagé à Avignon une grande partie du mois de juillet et ne pouvant être aussi présent que les années précédentes à Eymoutiers, j’avais planifié prudemment trois périodes de travail en mai et en juin. La première représentation ayant été retardée au 10 août, cela nous laissait une dernière ligne droite du 23 juillet au 9 août pour réaliser tout ça. Sacré pari en effet ! Mais je ne doutais pas. Sans doute était-ce parce que ce rendez-vous avec William, qui s’était imposé de façon si naturelle et qui nous réunissait dans une aventure à la fois fortement sérieuse et complètement farfelue, me donnait-il la force et l’inspiration nécessaires, c’est-à-dire la passion et la liberté, l’enthousiasme pour compter chaque instant pour vrai. Les moments vécus, les émotions partagées et fêtées ensemble en seraient l’addition. On mettrait en scène comme on met le couvert, comme on met la table, comme on fout le bordel ou on fait le ménage. Le spectacle serait ce qui ne pouvait pas ne pas se passer entre nous, au dessus de nous, à travers. Nous vivrions, mangerions, festoierions avec Hamlet, Gertrude et Polonius. Ainsi nous avons toisé et surveillé Ophélia, haï Claudius, espionné Hamlet, etc.

[if !supportLineBreakNewLine]Les rôles ont tardé à être distribués et nul ne savait qui allait être qui, qui devait venir, ne pas être, qui ne serait pas là mais on avait la détermination aveugle de tracer quand même. Tous se posaient la question : qui est là ?


LA DISTRIBUTION DES RÔLES


Hamlet c’est Hamlet. Tout a été fait pour lui.

La rencontre avec Léo représente un événement sur le plan de la rencontre et de l’amitié. Ce texte lui parlait et il dévorait chaque paragraphe fraîchement traduit. Il volait la feuille et ne la rendait que plusieurs jours plus tard non sans quelque émoi dans le regard. Cette pièce qui se dessinait au fil des jours racontait sa vie en langue franche. Polonius fut le premier distribué. Clément n’a jamais varié. Il avait appris son texte sérieusement et, bien qu’il ne pût répéter que certains soirs ou le week-end, à cause de son travail, il avait trouvé son homme. Dès les premières semaines de la traduction, Claudius avait été distribué à un jeune gars féru de théâtre mais, au moment d’être là pour les répés, le garçon avait annoncé et fait annoncer son retrait. On ferait donc sans. Betty devait prendre le rôle d’Ophélia mais son travail lui prenait trop de temps. Elle souhaitait s’éloigner du mode de vie de Legaud et, sans vouloir trahir l’esprit du groupe institué depuis des années, elle m’avait prévenu que le rôle lui semblait trop lourd, qu’elle aurait préféré faire un autre personnage. Elle a même proposé un fossoyeur, incroyable ça ! Ophélie en fossoyeur ! Je n’ai compris que plus tard pourquoi elle a refusé finalement de jouer dans la pièce. Betty, fidèle, a proposé de rendre service autrement à la compagnie. Elle mettait son véhicule à disposition, se chargeait de de faire la pub sur la commune d’Auphelle et de Peyrat. En fait, le binôme Betty / Léo ne fonctionnait pas.

Léo c’est Hamlet ! Il n’était pas rare qu’il interrompe nos promenades nourries de discours sur la pièce par des larmes accompagnées de grandes émotions. On tombait alors dans les bras l’un de l’autre et nous pensions fermement que c’était ça la vraie vie. Partager l’intime. Les autres personnages tissaient des liens entre eux, qui, sans le savoir, révélaient l’invisible pièce. Nous étions tresseurs de verre et nous préparions un grand banquet transparent.


Laerte s’est imposé tout de suite en la personne de Matthieu. Il me fallut attendre les derniers jours pour le voir vraiment. Il savait son texte mais je ne m’occupais pas trop de lui, seulement de ses placements. Le rôle d’Ophélia était vacant mais je ne m’en souciais pas. Tout se ferait de toute façon et quelque chose apparaîtrait : la chose, l’événement, on me l’apprit au téléphone ; à Paris. Pendant mon absence, les discussions allaient bon train car tous s’inquiétaient de l’abandon de Betty. Au cours d’une soirée à Legaud, Mickaël prit le taureau par les cornes et décida qu’il serait Ophélia. L’annonce de cette nouvelle relançait en moi la polémique élisabéthaine. Distribuer un garçon dans un rôle féminin, la chose s’imposa d’elle-même, j’y vis un signe du destin. Gertrude devait être Emilie mais la défection du premier Claudius nous ayant foutu une petite panique et le rôle d’Ophélia étant devenu masculin, je crus bon de donner le change en distribuant Emilie dans le rôle du tyran. Les répétitions ne me donnèrent pas raison. Il fallait faire vite. De toute évidence ça ne collait pas. Je fis alors appel à une amie trapéziste et comédienne. On verrait bien où distribuer Emilie par la suite. Mon urgence était d’observer deux ou trois rôles incarnés agir ensemble : la suite découlerait toute seule. Cette amie devait venir chaque jour mais n’arrivait pas. On répétait comme on pouvait. D’autre part il y avait beaucoup de travail avec la vidéo qu’on désirait incorporer au spectacle, on concentrait nos efforts sur le tournage des scènes et sur les rôles importants. Je passais des heures avec certains acteurs pour plonger ensemble dans l’univers d’Elseneur, mais aussi dans l’esprit de l’époque de William. On faisait de grands feux, de grands banquets.

Romain, qui avait le rôle d’Horatio, s’occupait de tout, la régie, les lumières, de son rôle, de la vidéo, il gérait aussi les plus jeunes et sonnait le rassemblement. C’est lui qui assurait la cohésion de l’équipe. Il commençait à s’arracher les cheveux et je compris qu’il avait besoin d’un assistant qui prendrait en charge les tâches qui lui pesaient. Toutefois il se montrait d’une humeur toujours excellente. Et la grande nouvelle tombe : l’actrice trapéziste arrive demain soir pendant la prestation de Wild Shores à la salle polyvalente d’Eymoutiers !

Elle arriva en effet et passa cette nuit multimédia du 30 juillet avec nous mais, au matin, son camion n’était plus sur le parking ! On l’a cherchée toute la journée. Portable éteint. Cela ressemblait à une fuite. Il devait y avoir répétition à dix-huit heures derrière la collégiale et je devais la maintenir, ne laisser transparaître aucun signe de déstabilisation qui aurait été fatal.. Il n’était pas question d’annuler une répé dans les conditions de précarité où nous nous trouvions. Les dés étaient jetés. Je connaissais maintenant la distribution sur laquelle je pouvais compter : il manquait un rôle ! Claudius, ce fut donc moi. Il n’y avait pas d’autre alternative !

Ils étaient contents que je joue avec eux mais ce n’était pas mon cas. Je savais que je n’aurais pas le temps d’apprendre le rôle et de me mettre dedans. Dedans j’y étais depuis longtemps car j’avais passé quatre mois sur la traduction mais j’aurais préféré m’occuper seulement de la mise en scène. J’avais l’accueil du festival à gérer, la comptabilité aussi, les relations publiques, etc. ! Moi aussi j’ai pris le taureau par les cornes et j’ai accepté cette idée : je serai donc Claudius, cet infâme ! Émilie reprenait le rôle de Gertrude, Laerte, Polonius, Horatio et Hamlet ne bougeaient pas, Mickaël gardait Ophélia, bien que je n’avais pas encore eu le loisir d’en être convaincu puisqu’on n’avait pas répété avec elle et j’étais Claudius. Nous eûmes alors un sentiment de sécurité. Ça se fête !

On le dit mais c’est vrai, ce sont les seconds rôles qui cimentent une pièce élisabéthaine et là, nous étions gâtés ! Paulin et Amaury, les frères de Romain, étaient les gardes. Amaury c’était aussi Reynaldo, le beau jeune homme qui fera craquer Polonius, un messager et le marin. Bravo le p’tit gars ! Paulin s’était proposé pour faire le deuxième fossoyeur avec Clément (il était libre une fois Polonius mort) et notre Nikko incarnerait quatre personnages à la fois, créant ainsi un personnage totalement subversif et ambigu : un melting-pot fait de Cornelius, Voltimand, Rosencrantz et Guildenstern, tout à la fois. Hilarant et parfaitement crédible. Un androgyne adorablement intelligent. LES COSTUMES Je n’ai donné aucune consigne particulière, laissant à chacun la liberté de s’imprégner de l’esprit général. Construisez votre costume en regardant les autres ! Nous accumulions les étoffes, les fringues, des gadgets improbables au cours des journées, des soirées et des nuits vécues ensemble. Ils en ramenaient aussi de leurs pèlerinages en milieu urbain.


[if !supportLineBreakNewLine]On voulait partir dans le rêve, dans l’inexpliqué, l’intuition, sans contexte historique. Le rêve serait l’actualité. Ainsi Claudius, pieds nus, portait des bois de chevreuil et un pantalon à la braguette bien fournie constellé de Louis d’or. Gertrude avait plastifié la moitié supérieure de son visage maquillé outrageusement et portait de longs écheveaux de lin blanc. Horatio et Marcellus le garde avaient enduit leurs crânes d’argile jaune et portaient qui un flingue qui un arc. Nikko était un transsexuel en collant rouge et tutu noir, portant barbe et moustache et dentelles. Polonius sortait droit d’un tableau du Tintoretto, grillage, bonnet bleu et peaux de lapin. Ophélia était nue sous une robe bleu électrique en plissé-froissé qu’elle avait abaissée en lys et en corolle jusqu’au pubis. Laerte était un militaire bardé de gadgets électroniques et revenait d’une BD de Bilal. Et notre Hamlet arborait un torse nu et portait un bermuda noir. Perdu. Simple. Simplement perdu. Magnifiquement seul.


LES INTENTIONS


La présence de la vidéo imposait une réflexion. On en a vu tellement des spectacles avec vidéo : on a même vu que ça ces dix dernières années. C’est branchouille !


Romain et Léo travaillaient depuis des mois sur cette vidéo et semblaient y tenir beaucoup. La naissance de cette passion devait trouver écho dans notre création. C’était une façon d’honorer leur travail et d’avancer, de se donner l’opportunité de foncer ensemble. Quand j’ai vu les premières images, j’ai été séduit. J’avoue que la vidéo m’emmerde la plupart du temps car elle représente et laisse peu de place à l’imagination mais leurs images étaient nouvelles, entièrement débarrassées de représentations ou de talent audio-visuel, elles étaient innocentes et couillues. C’est exactement ce qu’il fallait : innocentes et couillues. Elles s’inséraient dans les scènes avec évidence et, mieux, elles imposaient l’esprit de la pièce.

Nous avons décidé que la vidéo représenterait le monde des morts et le monde du spectre. Décidé aussi que le spectre n’apparaîtrait pas. On entendrait sa voix mais on ne le verrait pas. Nous devions assumer la présence d’un grand écran sur l’espace scénique et jouer avec lui. L’écran serait la membrane, le passage entre le monde des morts qu’on croit morts et le monde des vivants qui se croient vivants. Seul Hamlet voyagerait à sa guise entre les deux, générant ainsi par son propre corps en passant derrière l’écran, éclairé en contre, la projection de ses peurs et de sa guerre. L’écran nous a servi à la scène finale quand tout le monde s’entretue mais cela changeait selon les lieux dans lesquels on jouait. A Peyrat, on a fait mourir tout le monde lentement, sans que le public puisse voir les corps à terre. S’échappaient alors en contre-jour de derrière l’écran des ballons qui parcouraient pitoyablement l’air en se dégonflant. A Bujaleuf, je suis mort en prenant mon bain dans un abreuvoir à vaches abandonné au milieu du plateau tandis que Laerte et Hamlet se battaient au dehors à lents coups d’épées enflammées. A Eymoutiers, je suis mort de vieillesse à la vue de ma femme empoisonnée, placé devant un feu allumé au pied de la Collégiale, bouche ouverte, ces salauds me lançaient de la farine à pleines poignées pour me faire vieillir plus vite.

J’aimais cette idée qu’on partait pour une partie de ping-pong et que, si tel acteur ne faisait pas ce qui était prévu, on avait les poches pleines de tours et de ruses pour répliquer et réduire sa force au comique pour faire tourner le manège. Je leur disais : on a cent quatre-vingt possibilités, on est là, on est prêt, indémontables et on n’en montre que vingt-huit. Mieux vaut être riche et dynamique que pauvre et essoufflé ! Tout peut arriver parce que tout doit arriver. On se bat, bordel ! Dans la première scène, Shakespeare fait se rencontrer quatre gardes au cours d’une relève nocturne. Nous avons choisi de tourner en vidéo cette scène où les deux gardes se font relever, mais nous avons pris les mêmes acteurs, ceux qui arrivent frais dans la vidéo sont les mêmes que ceux sur les remparts ; ailleurs est ici alors qu’ici est ailleurs : c’est la même illusion. L’effet grossissant de la projection vidéo diminuait les acteurs présents sur scène. L’effet était saisissant et plaçait directement le spectateur dans le contrat : proportion démesurée du monde de l’ailleurs tandis que les acteurs réels paraissaient minuscules bien que vivants. Eux seuls voyaient le spectre qui n’apparaissait pas aux yeux des spectateurs. Même lorsque Hamlet rencontre son père, il part seul, il part dans son crâne, derrière l’écran et il crée l’image de lui-même. Il génère son spectre. A l’arrière de l’espace scénique était suspendue une grande roue (une bobine de cinéma) dotée d’un mécanisme d’horlogerie antique. [endif]

Dans la scène entre Polonius et sa fille Ophélia, on a eu recours à une image. Ophélia parle d’Hamlet à son père tandis qu’on le voit courir nu sur les murs le long d’un ruisseau, juste au dessus du crâne d’Ophélia, sans doute le ruisseau où elle se noiera mais le temps n’est pas encore venu. La rencontre entre Ophélia et Hamlet a été traitée de façon identique. Ophélia est assise et lit le livre donné par Claudius (le mythe d’Isis et Osiris) alors que Hamlet lui répond en vidéo. On ne voit que son grand visage christique dardant des rayons. Elle semble le prier désespérément.


L’apparition et l’allocution du jeune Fortinbras était également une séquence vidéo. On avait filmé notre truie Edwige en gros plan pendant qu’elle baffrait. J’étais équipé d’un lecteur MP3 pour le rôle de Claudius et cela créait un décalage avec les autres acteurs. Laerte était bardé d’électronique. Sans insister trop sur un effet de modernité, ce que nous ne souhaitions pas, on ne pouvait faire abstraction de la technologie actuelle, dénonçant au passage les mythes frelatés qu’elle instille et entretient dans son acharnement à nous conditionner à une intensive consommation. Nous n’avons fait que suggérer. Ce propos ne nous intéressant pas dans le cadre d’une création théâtrale. Il y a tant à traverser. L’art est un arbre dont les racines flottent librement et ne se nourrissent d’aucune terre. Il n’y a pas de race, pas d’échelle. C’est sur cet arbre de rencontre que de célestes singes jouent la comédie au vent, comparables à des oiseaux, à des poissons géants sur une mer à l’envers. [if !supportLineBreakNewLine]

Photos du spectacle réalisées par Jean-Claude GUILLOUX

Photos des répétitions par Axel VON DER ROPP

Août 2008 - EYMOUTIERS - PEYRAT LE CHÂTEAU - BUJALEUF

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