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EN COMPAGNIE D'ARTAUD - 2012

Première écoute de la soirée enregistrée… Tout se tient… Artaud, qui a été lui-même peintre, dessinateur, critique d’art, ethnologue, philosophe, metteur en scène, acteur de théâtre et de cinéma, auteur, poète, visionnaire et cependant mouche, Artaud, qui, malgré la ferraille, s’est dressé et est mort assis, planté en terre saine et lavée… Artaud était là !

Je voulais faire parler quelques uns de ses contemporains, quelques grands qui le considèrent et ont marché sur ses traces, donnant ainsi à cette proposition théâtrale un caractère d'invocation et de compagnonnage, rendre hommage à l'être, celui qu'Artaud a relevé de la foi. Foi en le Verbe, foi en les mots. Cette fois, la foi y prend nombre d’aspects, mais nous, qui sommes encore vivants, avons préféré n’en considérer que l’humour et l’ironie de la force, honorant ainsi quelques grands de ce monde, ceux qui sont et ont été grands par nature, mais aussi ceux qui ont été brandis par les banques, espérant que les autres, artisans qui tendent encore la vieille toile neuve, trouvent un écho, une consolation, voire un espoir, qui quelque outil, qui certaine nourriture, mais que, dans tous les cas, la simple beauté, par son irradiante et sombre vérité, se dresse manifestée devant l’inextricable bêtise. Et c’est chose faite car la chose a toujours été faite. « Il fait étrangement beau car il ne peut plus maintenant que faire beau", disait-il.


Un cri commun sourd aujourd’hui du peuple, celui de l’expression consentie de la liberté à vivre. Pour les peuples opprimés c’est chose simple, il suffit de leur concéder tardivement l’espace de liberté qu’ils réclament pour qu’ils commencent à s’exprimer, mais qu’ils commencent seulement, délimitant ainsi le cadre de leurs prochaines contraintes. Quant aux autres, les pucerons capuchonnés de la consommation, il convient de leur distiller insidieusement l’accoutumance à la punition publique, instaurant ainsi par des exemples que la liberté est mauvaise. Il pleure de toutes parts et nous, peuples nantis, n’avons même pas la consolation de donner l’exemple du bonheur. C’est de la façon la plus hypocrite que nous prétendons au confort, au progrès.

Comme le dit Deleuze : « Il n’y a pas de mort des arts, pas de mort de la philosophie, ni de la pensée, ni du cinéma… il n’y a que des assassinats. »


Voilà pour la préface de cette proposition musicale et théâtrale : "En compagnie d’Artaud".

Je voulais que ce soit un accompagnement, un geste ensemble, du compagnonnage, un appel à la fraternité oubliée afin que nous ne l’oubliions pas. Six textes accompagnés de musique sont présentés :


- un acte pictural de Jean DUBUFFET

- un court entretien de Gilles DELEUZE

- une pensée de Claude REGY

- une rêverie authentique d’Alain GHEERBRANT

- une protestation d’Antonin ARTAUD

- puis une imprécation de la même plume


Les six textes ont essentiellement l'art pour sujet et sont émaillés de considérations plus ou moins éclairées que certains ont exprimées sur le vaste et impossible sujet. C'est le peintre Jean Dubuffet qui ouvre la danse par sa recherche de l'expression brute, exténuant sa parole d’une geste névrotique et pictural sur une toile verticalement blanche.


À sa suite, arrive Gilles Deleuze qui, matérialisant au sol un rectangle blanc qui sera, dans la suite du spectacle, l'aire qui recevra Artaud, développe l’idée de Primo Lévi à propos de “la honte d'être un homme”.

Vient en troisième position une vieille femme, de celles que l’on aperçoit par les portes entr’ouvertes des mouroirs et qui continuent de maugréer parce qu’il reste quelque chose d’irrésolu au fond de l’être qui ne peut se manifester que par mots derniers. Certaines peuvent avoir encore des douceurs, d’autres griffent ou crachent mais il y a toujours en elles quelque chose d’ultime et de sincère, quelque lecture terrible à proprement parler dans leurs braises qui se séparent. Cette vieille-là est installée à une table blanche, assise sur une chaise également blanche, elle ingurgite et régurgite de la crème fouettée qu’elle s’est servie elle-même. Mâchoire inférieure bandée par un dentiste castrateur et expert, elle décharge devant nous un extrait du “Livre des Morts” de Claude Régy.


La transition, ce que j’appelle transition est le moyen scénique de manifester physiquement Artaud, elle s’opère grâce à l’arrivée d’un homme en queue de pie, portant un masque d’oiseau au long bec mais tourné vers le haut, comme une corne de rhinocéros noir qui aurait jailli de son front. Cet homme en frac dit avoir suivi l’enterrement d’Arto. Il s’agit d’Alain Gheerbrant qui parle du retournement, et en particulier de celui de la tête du cocher qui conduisait le corbillard. Il mentionne quelques compagnons présents ce jour-là, Georges Braque et Michel Leiris, entre autres. Il disparaît en parlant du désert et des Bédouins, improvisant sur une légende au sujet de la mort d’Ali, le gendre du Prophète. Lamento de cordes processionnaires sur la mue des grands.


Arrive Antonin assisté de son chat. C’est un animal mort en hiver, parfaitement conservé dans la résine de son corps. N’ayant pas eu à subir la voracité de ce qui grouille au soleil, il est proprement vitrifié par sa lymphe.

Le couple pénètre dans le rectangle préparé par le philosophe, comme il pénétrerait dans n’importe quelle cellule puis s’accroupit, son chat sur les genoux, pour nous transmettre le magnifique texte sur “Les Déportations”. Lorsqu’il quittera l’aire blanche au centre de laquelle il a confié l’animal, oblique en direction du public, il se retournera lui aussi et, de son oeil unique, décidera un sourire mûri qui ne quittera pas la scène tandis que son corps, lui, clairement, la quittera.

Le dernier texte est constitué de certaines notes de l’auteur sur l’approche d’une définition de ce qu’est un poète. Autour du félin s’est mis à tourner naturellement ce soir-là un couple de chauve-souris, tandis que l’acteur en voix “off” nous livrait la préface du “Théâtre et son Double”.

A l’écoute de la bande enregistrée, je découvre une musique sémantique, un chant écrit par la chimie nourrie des corps au delà des organes et qui naît généreusement de l’espace délirant offert par la biologie. Je découvre des articulations évidentes, comme celles qui permettent aux phalanges des doigts, et non à celles des meutes aveugles, de peindre, d’écrire et de modeler. Je découvre qu’avant et après l’homme, on s’amuse et on s'amusera beaucoup dans la Nature ! Merci à Marc ROQUES & à Michel THOUSEAU Que les plus belles musiques, les plus beaux textes sont accessibles et perceptibles à ceux qui taisent et qui, en marchant, gravent les sonnets inouïs des générations. La Ciotat – août 2012 [if !supportLineBreakNewLine] [endif] [if !supportLineBreakNewLine] [endif]


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